dimanche 27 septembre 2009

Aérolithe


Tête de Chien, le sommet, samedi 11:30

-« Philippe! Quel plaisir de te revoir! Tu te souviens de Madame Lancette, la propriétaire de Cuir de Latex Cavaillon? »

-« Madame Lancette, quel plaisir de voir que vous vous êtes enfin décidée à tenter l’escalade et quel honneur que ce soit fait à Nice! »

-« Monsieur Maurel, dois-je comprendre qu’en plus d’être le Nadar de la grimpe, vous êtes aussi le Baudelaire des falaises? Si c’est le cas, pourquoi ne pas vous joindre à nous ce soir? Nous avons cette délicieuse petite tente louée à La Conquête des Plateaux… et une peau de yak… décadent, réellement décadent! Isidore sera là de même que mes amies…»

Trois jeunes femmes de la plus belle eau sortirent de l’autobus qui avait amené le groupe de Cavaillon à Nice pour le voyage jumelant les pèlerins de Sainte Réparate et les grimpeurs de la Tête de Chien. Toutes étaient vêtues des dernières créations coquines de Japhet Cool, le minimalisme incarné dans le vêtement.

On entendit tomber à terre la langue du Nadar. Quant à Isidore Squamule, il souffrait depuis le départ de strabisme prononcé qui l’amenait à plonger son regard vers deux bustiers à la fois. Les pèlerins étant à Sainte Réparate pour la nuit, à y prier pour la remise des péchés du monde, c’était donc le moment idéal pour inclure quelques fautes de plus dans l’escarcelle de l’humanité. La peau de yak risquait d’être en demande!

Les autres grimpeurs sortaient leur matériel et se préparaient à s’égayer dans la nature le long des falaises disponibles. Le sentier était juste devant eux, les appelant vers l’aventure. Isidore pris son porte-voix.

-« Attention! Nous devons partir vers dix sept heures et, pour ne pas oublier personne, cette fois-ci, j’ai emprunté à Damase Bastingue, le président honoraire du club des sous-mariniers retraités, une corne de brume ayant été utilisée sur le Clemenceau. Dès que vous entendez le mugissement, vous accourez immédiatement. Je ne vous accorde que cinq minutes : nous avons une tente à monter! Enfin… des tentes à monter… Bonne grimpe! »

Tel un troupeau sans berger, les grimpeurs s’éparpillèrent dans la nature.

-« Quant à vous, mesdames, voulez-vous nous accompagner? Philippe et moi allons vous montrer les rudiments des manœuvres de corde et les mouvements de base de notre sport. Et je suis convaincu que Philippe se fera une joie de prendre des photos professionnelles de vos performances que nous pourrions inclure dans un petit article sur les voies pour débutants de Nice qui serait publié dans ‘’Par Là-Haut’’, le magazine du plus que vertical. N’est-ce pas, Philippe? »

-« Dans mon sac, j’ai trois cartes mémoire de huit gigabits : nous en avons assez pour illustrer une bible! »

Madame Lancette le regarda dans les yeux.

-« Il faut garder de la mémoire pour ce soir… on ne sait jamais ce qui se passe dans une tente quand les lumières viennent à manquer. Vous avez un flash, bien entendu? Nous pourrions avoir besoin de décomposés.»

-« Assez discuté », annonça Isidore, « Philippe va nous guider vers des spots qui mettrons vos talents en évidence. »

Il s’ensuivit une petite marche le long d’un sentier facile, agrémenté du plus léger des badinages. Au bout de cinq minutes, le groupe arriva en face de quelques blocs surplombant la ville. Le soleil brillait, la vue sur la mer était superbe. Un endroit désert comme on les aime bien.
Isidore Squamule fermait la marche, peinant à traîner sa corne de brume, une bonbonne digne des exploits de Cousteau, surmontée d’un cornet de près d’un mètre de diamètre.

-« C’est parfait ici : je ne vais pas plus loin avec cet engin… et d’ailleurs l’endroit est idéal tant pour les photos que pour l’atmosphère. »

Philomène Carpates, une des novices de Cuir et Latex se tourna vers Nadar Maurel.

-« Philippe… vous permettez que je vous appelle Philippe… ce n’est pas un peu coquin, ce petit pré d’altitude? »

-« Jamais je ne me permettrait d’amener un groupe de jolies femmes dans un endroit désert dans l’espoir de gagner leurs charmes! D’autant plus que regardez-moi cette arête facile sur le bloc de droite : voilà une ligne idéale pour des débutants. Mettez vos chaussons, je vais vous parer.»

Les nouveaux chaussons Zéro Absolu! étaient parfaitement assortis avec les fringues Japhet Cool ce qui donnait , sur l’arête , un ensemble agréable d’autant plus que de grosses prises favorisaient la progression et augmentaient le niveau de confiance.

-« Je fais quoi pour descendre? »

-« Deux choix » dit Isidore, « sauter sur le crashpad et j’amortis votre chute ou bien dégrimper. Pas mal plus facile de sauter quant à moi … et Phil va prendre une séquence de photos.»

Philomène Carpates ne se le fit pas dire deux fois : elle se lança dans le vite avec un entrain qui faisait plaisir à voir. Isidore n’eut la vie sauve que parce qu’il trébucha sur une attache du crashpad : la jeune femme arrivait directement sur lui et il ne pu que l’attraper par le bustier. Heureusement le Zéro Absolu! Extrême Crash était conçu pour absorber l’impact d’un petit monomoteur.

-« Isidore… quelle poigne tu as! Nous pourrions pratiquer à parer ce soir… tu me montreras comme faire. »

L’appareil de Philippe était en mode automatique : il avait immortalisé l’épisode.

Julie Rhinite et Carole Samole se lancèrent à leur tour dans l’ascension du bloc pour revenir à terre avec plus de grâce que leur compagne.

« Essayons maintenant cette fissure verticale sur le bloc qui ressemble à une théière » dit Philippe « il offre de belles possibilités photographiques. J’ouvre une bouteille de rosé… quelqu’un en veux? »

Quatre mains se levèrent : aussi bien ouvrir deux bouteilles… ce qui ne prit qu’un instant, juste le temps de transporter le crashpad sous la voie.
Après s’être désaltérées, les novices recommencèrent leur apprentissage sous les yeux de lynx des deux formateurs. Le bloc était plus facile qu’on ne l’aurait cru et sa situation permettait de belles photos avec la mer en toile de fond.

Philippe regarda autour de lui. Pourquoi pas ce bloc, juste sur le bord de l’abîme? On pourrait voir, sur les photos, et la mer et la ville! Il le suggéra à la deuxième pause de rosée et l’idée fut immédiatement acceptée : comment résister à un tel portfolio?

Le bloc ressemblait à un champignon de moyenne grosseur posé délicatement sur une crête de la Tête de Chien. Il dominait la ville et ouvrait des perspectives intéressantes pour les prises de vues en dévers.

Carole Samole fut la première à tenter l’expérience du plus que vertical. Les quelques pas délicats au ras du sol furent vite franchis mais elle fut stoppée net par l’avancée du petit toit champignonnesque.
Après plusieurs essais, elle laissa sa place à Philomène Carpates qui ne fit pas tellement mieux. A son troisième essai, elle se tourna vers Isidore.

-« Isidore, tu peux me parer ou m’aider à aller un peu plus loin? »

Isidore Squamule vida son verre de rosé d’un trait et se positionna stratégiquement sous le toit. Philomène effectua la première partie verticale sans fautes et attrapa un bac latéral dans la couronne du bolet rocheux.
Isidore para mais voyant que la jeune femme n’y arriverait pas, il saisit avec détermination le popotin à peine couvert par le short Japhet Cool Minimal et poussa du mieux qu’il pu pour contrer les effets néfastes de la gravité. La jeune femme avança de deux prises et se retrouva sous le bord du chapeau du bolet.

Le Nadar de la grimpe, allait de gros plans du popotin à panoramiques de la grimpeuse avec la mer et la ville en dessous. Il préférait le popotin mais les photos de paysages se vendent bien en cartes postales…

-« Allez, un dernier effort! » lança Isidore. Il poussa encore plus fort sur le popotin qui allait faire une première ascension à vue du Bolet quand Philippe Maurel, obnubilé par la vue de cet océan de chair vierge, décida de faire un pas en arrière pour obtenir un cadrage parfait.

Il trébucha sur l’épave d’une bouteille de Rosé, garda le doigt sur la gâchette de l’appareil photo et tomba à la renverse sur la corne de brume du Clemenceau, dégoupillant par le plus grand des hasards l’instrument infernal et lançant vers la mer un mugissement à réveiller les morts.

« MMMEUEUEUEUEUUEUEUEUE... »

Tout en bas, dans un bar de Nice, le Commandant Polytric, ancien de la marine, posa son verre et tomba raide mort, son cœur ayant flanché sous l’émotion. Entendre une dernière fois le son de la corne de son ancien navire avait été une émotion trop violente pour le vieil homme.

Au sommet, les choses n’allaient guère mieux.
Philomène Carpates et Isidore Squamule étaient retombés sur le crashpad sans trop de dégâts.
Madame Lancette et Carole Samole se précipitaient vers eux, espérant dégager la poitrine de Philomène des mains crispées d’Isidore.
Le Nadar Maurel, totalement sourd, se relevait péniblement et pointait avec insistance vers le Bolet.

La curiosité géologique, sous l’effet des ondes sonores, avaient décidé de prendre la poudre d’escampette et glissait majestueusement vers le vide.
Le Bolet disparut, aspiré par la gravité.

Isidore Squamule, Brevet d’Accompagnateur en Montagnes de très Basse Altitude (BAMBA), jugea d’un coup d’œil du danger de la situation : le terrain était instable et pouvait être emporté dans la seconde! Retraite immédiate vers l’autobus où devaient de toute façon attendre les autres grimpeurs avertis du danger par la corne de brume. Le salut dans la fuite!
On irait à Peillon demain…et, de toute façon, il était temps de monter la tente et d’étendre la peau de yak…

*******
Tête de Chien, le nouveau quartier cossu très en dessous du sommet, samedi 14 :05
Casimiro Cappicolo, l’acteur bien connu pour ses interprétations de gardien de l’humanité dans la série ‘’Sauvetage Eco-Terre’’ en était à son cinquième martini de l’après-midi. Il flottait sur un agréable nuage éthylique, assis sur sa terrasse en face de sa piscine creusée à flanc de colline.

Tout ce luxe! Qui aurait cru qu’un petit intriguant de Ventimiglia se rendrait aussi loin? Il avait magouillé fort pour aboutir sur cette terrasse, faisant chanter producteurs et agents, accumulant des informations sur un peu tout le monde grâce à un réseau tentaculaire de petites gens, balayeurs et moppologues des studios, ne craignant pas de fouiller les poubelles lui-même à la recherche du moindre indice.

Et les femmes… il écrasa une cigarette et ouvrit un nouveau paquet, le troisième…
Encore une saison à jouer ce personnage débile qui nettoyait la planète une heure par semaine, encore une saison à serrer la main des écolo-zigotos, encore une saison à fréquenter les artistes média-bidon de la Promenade… encore une saison et il allait se lancer en politique!
Il en savait désormais assez sur tous ces menteurs compulsifs en mal de visibilité pour se hisser au sommet de la chaîne alimentaire. La Présidence, rien de moins!

Casimiro Cappicolo allait entrer au Ciel par la grande porte. L’Élysée, le paradis de la politique. Allez, un autre martini en l’honneur de l’Élysée!

Et cette Lucrezia Cornucopia qui n’arrivait pas! Venir d’Italie pour avoir une entrevue avec la vedette de ‘’Sauvetage…’’et sans doute profiter de son merveilleux physique. Pas une femme qui ne désire ce corps d’Adonis… faudrait pas oublier de prendre une petite pilule bleue juste au cas où…

Un léger sifflement attira l’attention de Casimiro Cappicolo.
Il leva les yeux vers un ciel qui semblait s’obscurcir de secondes en secondes.

La piscine, la terrasse, la maison construite sans permis et Casimiro Cappicolo furent vaporisés en un instant par l’impact d’un Bolet minéral de quelques milliers de tonnes.

Un petit top coquin griffé Japhet Cool se posa doucement sur les décombres quelques minutes plus tard…

Texte de Jean-Piere Banville
Illustration de Ben Bert

1 commentaire:

  1. Quel Talent !
    C'est pour dire : ce ne sont pas les meilleurs qui se ramassent sous les feux des projecteurs .
    On en redemande...

    Cet Isidore Squamule !!!
    Un homme selon mon coeur . On pourrait presque l'imaginer dans une stations balnéaires des cotes atlantiques . Il y ferait un malheur !

    RépondreSupprimer