mardi 19 mai 2009

Les tribulations d'un fromage vache-brebis - suite

La première partie est ici: http://motslivres.blogspot.com/2009/05/les-tribulations-dun-fromage-vache.html

Ce voyage épuisant est en train prend fin, et je suis rejoint dans ce sac à dos par des crampons, des piolets, des chaussettes crasseuses et des gants encore moites. On semble sortir de ce train et j’entends tout un tas de bruits désagréables: grincements, claquements, couinements… Bref tout ce qu’il faut à un fromage pour tourner en yaourt ou en lait caillé. Ce n’est que grâce à mon savoir-faire d’affinage et à ma conscience professionnelle que j’arrive à sauver les dégâts et à conserver mon moelleux et ma texture. Nous arrivons tant bien que mal au fond d’un vestiaire, et je comprends aux bribes conversations autour de nous ( « ..montagne…wee-end…couchette…RER… ») que mon propriétaire commence directement une journée de travail à la capitale après un week-end passé à pratiquer le pyrénéisme. J’en déduis donc que je vais passer le restant de la journée dans son sac en attendant qu’il me ramène chez lui.

C’est effectivement ce qui se passe. Le soir, il vide son sac, et me dépose au fond d’un réfrigérateur en tout point pareil à celui dans lequel j’ai passé quelques jours. La seule différence, c’est qu’au lieu de séjourner avec un jus de goyave, je vais devoir converser avec un pack de bière, et en flamand en plus. Autant dire que nos échanges furent réduits au strict minimum! Dire que dans ma cave, au fond de ma vallée, je m’interrogeais sur le vin qui allait accompagner ma dégustation : à l’heure qu’il est, je crains plutôt de finir dans un estomac rempli de jus de houblon. Eh bien pas du tout! En effet, tout en se saisissant d’une bouteille de la main gauche, mon propriétaire téléphone pour fixer le lieu du prochain rendez-vous. Il semblerait que j’aie encore quelques jours à passer en transit en plein Paris aux environs de la place de Clichy.

Après quelques jours à me reposer dans ce frigo, le grand jour arrive. Je retrouve ce sac de montagne qui a eu le temps de sécher en une semaine. Je retrouve le vestiaire dans lequel je vais passer la journée, et je reprends le fameux RER de l’autre jour. Puis je découvre le métro et ses odeurs et ses bruits peu rassurants. Nous arrivons semble-t-il au bas d’un immeuble. Un coup de sonnette, un bref dialogue à l’interphone, quelques étages montés au pas de courses dans l’escalier…Une porte s’ouvre, une voix d’adolescente fait les salutations d’usage, et je change encore de main pour échouer une nouvelle fois au fond d’un frigo. Quelques heures plus tard, une main me saisit, me glisse rapidement dans un cabas, et me revoilà dans le métro. Après un rapide voyage souterrain, nous sortons dans la rue puis arrivons dans un endroit où j’entends indistinctement des bruits sourds et répétitifs. Après une rapide analyse de la situation acoustique, cela ressemble à de la musique, plutôt lointaine, plutôt diffuse.. Quelques bises claquent, quelques rires, et je change encore de main. Mais cette fois, il semble que je fais l’objet de plus d’attention; il semble même que je sois un peu au centre des discussions. J’ai même l’impression qu’on ouvre le sac plastique dans lequel je macérais depuis des semaines…

Une main impatiente me découvre au grand jour. Enfin, pas vraiment au grand jour, plutôt dans un sous-sol sombre et enfumé. Je regarde autour de moi et j’aperçois des guitares et autres instruments de musique. Dans un coin un musicien s’accorde, un autre s’essaie à quelques roulements de batterie pendant qu’on me pose sur une assiette en carton, au côté de tranches de paté et de rondelles de pain. Les musiciens s’approchent de moi, apprécient mon fumet, jugent mon aspect et entament cet en-cas improvisé. Soudain, un laguiole me pénètre, et je me retrouve tranché. Curieuse sensation que de se sentir désuni : d’un côté une tranche posée sur l’assiette, et de l’autre le reste de la tome qui retourne rapidement dans le sac plastique.

La tranche est ensuite découpée en lamelles que les musiciens dégustent les uns après les autres. Je me retrouve englouti dans différentes bouches, lapé par différentes langues, caressé par différents palais, mastiqué par différentes dents, je traverse des œsophages pour finalement atterrir dans des estomacs. Je baigne dans un mélange de vin rouge, de bouts de pâtés, de morceaux de couenne, de gélatine, de rondelles de cornichon. C’est dans cet environnement que je commence à réaliser le but de ma vie: finir dans un estomac, après avoir exhalé mes saveurs et montré de quoi j’étais fait. Je dois avouer que j’espérais mieux comme conditions de dégustation qu’un local de répétition. Mais tout espoir n’est pas perdu. La tranche qui a été offerte à ces musiciens n’était qu’un échantillon. Je peux espérer que le reste de la tome finira sur un véritable plateau de fromage. Pour l’heure elle est rangée dans un étui de guitare et profite au moins de quelques mélodies. Même si les coups de grosse caisse et les vibrations de la basse mettent à rude épreuve cette pate et cette croute, fabriquées conjointement par l’homme et la nature dans une savante alchimie.

Après trois heures passées dans cette ambiance musicale, une guitare vient me rejoindre dans son étui. Nous cheminons cahin-caha jusqu’à une gare et nous installons dans un TGV climatisé. Pour une fois, il me semble que je bénéficie de conditions correctes pour voyager. Le doux balancement du train me permet de me détendre et de relâcher mes efforts: je n’ai pas grand-chose à faire et l’affinage suit son cours pendant ces deux heures de voyage. Je somnole quand une voix me tire de mes rêveries: « Le train arrive en gare de Beaune, deux minutes d’arrêt ». Un espoir tout d’un coup : et si c’était là que je devais finir mes jours, dans la capitale mondiale du vin? L’étui de guitare est retiré prestement du porte –bagage, et nous descendons. Les bruits alentours n’ont rien à voir avec les sons stressants que j’ai endurés à la capitale; ça me rappelle presque le calme de la ferme béarnaise où j’ai vu le jour. Après avoir monté quelques étages, nous arrivons dans un appartement et je suis déballé sur une assiette où se reposent déjà quelques fromages. Mon propriétaire se coupe une tranche et me déguste. Il semble apprécier, lèche les quelques miettes qui s’étaient égaré à la commissure des lèvres, passe un coup de fil. « Ca y est! Mission accomplie! Il est là…» dit-il d’un ton enjoué. Un rendez-vous est pris dans les jours suivants. Si je comprends bien, je dispose d’un peu de temps pour me préparer et exprimer tout mon potentiel.

François Colas

A suivre....


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