Par ce bel après-midi d’octobre, je m’affinais tranquillement dans la cave en compagnie de mes congénères. On arrivait en fin d’après-midi et la fraicheur de la cave repoussait les vaillants assauts de la chaleur automnale. Oh, ce combat n’était rien par rapport à ce qu’on m’a raconté des épiques duels estivaux entre la torpeur extérieure et la fraicheur du sous-sol. Notre cave bienaimée ne ménageait pas ses efforts pour nous offrir une température constante, et il faut reconnaitre qu’en ce début d’automne, elle avait la partie plutôt facile. On s’apprêtait donc à passer une douce nuit à sentir nos bactéries nous travailler tout en subtilité. Quand dehors, les patous se mirent à japper.
On entendit au loin le vrombissement d’un moteur. Oh, pas le diésel sûr de lui du camion de la coopérative, du genre à vous faire sensuellement vibrer la croûte. Ce n’était pas non plus le chaotique éternuement de la vieille Renault 12 de la fermière, celui qui vous fait onduler la pâte à chaque soubresaut. Non, c’était un moteur inconnu, du genre de ceux qui montent de la ville de temps à autre. Pas un 4 x 4 urbain à qui on a offert ses 20 kilomètres hebdomadaires de montée asphaltée sur la route d’Oloron. Non, ça semblait être une petite citadine, un peu essoufflée, mais surtout hésitante; on la sentait s’interroger sur le bon itinéraire, entre le chemin boueux qui menait à la maison, et la route de gravier qui menait à l’étable. Finalement, elle opta pour un stationnement entre les deux. On entendit claquer la portière, et les chiens se mirent à courir en aboyant de plus belle. Une petite voix féminine, aigüe mais énergique, leur intima en vain l’ordre de se taire. Puis on entendit la voix forte de la fermière, qui était sortie de l’étable au milieu de la traite, un bâton à la main. Le dit-bâton claqua deux fois, et les patous se firent nettement plus discrets.
Les deux voix alternaient, dans ce qui semblait être des questions-réponses. Puis la grosse clé grinça dans la serrure, le bas de la porte racla la marche en granite, et la voix grave de la fermière résonna sous la voute. Le bruit des lourdes bottes descendant l’escalier était suivi du claquement léger de talons féminins. La fermière s’approcha de notre planche, soupesa plusieurs d’entre nous, puis c’est sur moi qu’elle jeta finalement son dévolu. Elle ressortit rapidement de la cave, ferma la porte brusquement, et m’enveloppa sans ménagement dans une grande feuille de papier. Aveuglée par la lumière du jour, j’eus le temps d’apercevoir furtivement le visage de ma nouvelle propriétaire: un petit visage expressif, avec un sourire au dessus duquel j’aperçus de fines lunettes.
Jeté sans égard dans un sac plastique, je suis brinqueballé de mains et mains, et posé sur le siège de la petite auto. Quelques dizaines de virages plus tard, après avoir roulé plusieurs fois d'un côté à l'autre de la baquette, je sens une acalmie: ma conductrice se gare et me décharge. Ce que je redoutais le plus arriva: j’échoue dans un frigo, coincé entre des navets et des pamplemousses. J’avais bien entendu parler de cet engin de malheur, et j’espérais que ma nouvelle compagne ne l’utilise pas pour me stocker, et préfère me déposer à la cave sur d’accueillantes clayettes. Malheureusement, nulle n’est parfaite. Je l’entends d’ailleurs téléphoner : « Il est là, au frigo. Tu passes le chercher quand? ». Ainsi elle était en service commandé, et j’allais encore changer de propriétaire. Pire : je risquais de ne jamais connaitre la joie de m’immiscer entre les dents de cette charmante jeune fille. Allais-je finir mes jours chez une grand-mère édentée, ou chez un routier moustachu? Mystère...
J'ai ainsi passé quelques jours dans le bac à légume. De temps à autre, la porte s'ouvrait et j'espérais pouvoir respirer l'air pur. Mais non, las; au mieux pouvais-je espérer l'arrivée d'un nouveau voisin. Je préférais la compagnie des pommes, avec leur odeur délicate qui se marie si bien avec mes effluves. Je me souviens par contre avoir lutté avec un chou, combat olfactif dont je sortis vainqueur. J'en étais là de mes réflexions quand une voix masculine et enjouée se fit entendre. Les deux voix, visiblement heureuses de se retrouver, se rapprochèrent du frigo et la porte s'ouvrit; ils ouvrirent le bac à légumes me soupesèrent, et me reposèrent. Ce n'est que deux heures plus tard qu'on m'agrippa, me jeta au fond d'un sac humide, plein de matériel de montagne. Le sac fut transporté jusqu'à une gare, jeté en l'air sur une étagère. Le train démarra, et petit à petit, la température monta dans le compartiment. Les crampons et chaussettes avec lesquels je voisinais furent retirés du sac pour être séchés, et je me retrouvais seul. La température devenait insupportable, en tout cas bien plus que ce qu'un honnête fromage des pyrénées peut endurer.
On entendit au loin le vrombissement d’un moteur. Oh, pas le diésel sûr de lui du camion de la coopérative, du genre à vous faire sensuellement vibrer la croûte. Ce n’était pas non plus le chaotique éternuement de la vieille Renault 12 de la fermière, celui qui vous fait onduler la pâte à chaque soubresaut. Non, c’était un moteur inconnu, du genre de ceux qui montent de la ville de temps à autre. Pas un 4 x 4 urbain à qui on a offert ses 20 kilomètres hebdomadaires de montée asphaltée sur la route d’Oloron. Non, ça semblait être une petite citadine, un peu essoufflée, mais surtout hésitante; on la sentait s’interroger sur le bon itinéraire, entre le chemin boueux qui menait à la maison, et la route de gravier qui menait à l’étable. Finalement, elle opta pour un stationnement entre les deux. On entendit claquer la portière, et les chiens se mirent à courir en aboyant de plus belle. Une petite voix féminine, aigüe mais énergique, leur intima en vain l’ordre de se taire. Puis on entendit la voix forte de la fermière, qui était sortie de l’étable au milieu de la traite, un bâton à la main. Le dit-bâton claqua deux fois, et les patous se firent nettement plus discrets.
Les deux voix alternaient, dans ce qui semblait être des questions-réponses. Puis la grosse clé grinça dans la serrure, le bas de la porte racla la marche en granite, et la voix grave de la fermière résonna sous la voute. Le bruit des lourdes bottes descendant l’escalier était suivi du claquement léger de talons féminins. La fermière s’approcha de notre planche, soupesa plusieurs d’entre nous, puis c’est sur moi qu’elle jeta finalement son dévolu. Elle ressortit rapidement de la cave, ferma la porte brusquement, et m’enveloppa sans ménagement dans une grande feuille de papier. Aveuglée par la lumière du jour, j’eus le temps d’apercevoir furtivement le visage de ma nouvelle propriétaire: un petit visage expressif, avec un sourire au dessus duquel j’aperçus de fines lunettes.
Jeté sans égard dans un sac plastique, je suis brinqueballé de mains et mains, et posé sur le siège de la petite auto. Quelques dizaines de virages plus tard, après avoir roulé plusieurs fois d'un côté à l'autre de la baquette, je sens une acalmie: ma conductrice se gare et me décharge. Ce que je redoutais le plus arriva: j’échoue dans un frigo, coincé entre des navets et des pamplemousses. J’avais bien entendu parler de cet engin de malheur, et j’espérais que ma nouvelle compagne ne l’utilise pas pour me stocker, et préfère me déposer à la cave sur d’accueillantes clayettes. Malheureusement, nulle n’est parfaite. Je l’entends d’ailleurs téléphoner : « Il est là, au frigo. Tu passes le chercher quand? ». Ainsi elle était en service commandé, et j’allais encore changer de propriétaire. Pire : je risquais de ne jamais connaitre la joie de m’immiscer entre les dents de cette charmante jeune fille. Allais-je finir mes jours chez une grand-mère édentée, ou chez un routier moustachu? Mystère...
J'ai ainsi passé quelques jours dans le bac à légume. De temps à autre, la porte s'ouvrait et j'espérais pouvoir respirer l'air pur. Mais non, las; au mieux pouvais-je espérer l'arrivée d'un nouveau voisin. Je préférais la compagnie des pommes, avec leur odeur délicate qui se marie si bien avec mes effluves. Je me souviens par contre avoir lutté avec un chou, combat olfactif dont je sortis vainqueur. J'en étais là de mes réflexions quand une voix masculine et enjouée se fit entendre. Les deux voix, visiblement heureuses de se retrouver, se rapprochèrent du frigo et la porte s'ouvrit; ils ouvrirent le bac à légumes me soupesèrent, et me reposèrent. Ce n'est que deux heures plus tard qu'on m'agrippa, me jeta au fond d'un sac humide, plein de matériel de montagne. Le sac fut transporté jusqu'à une gare, jeté en l'air sur une étagère. Le train démarra, et petit à petit, la température monta dans le compartiment. Les crampons et chaussettes avec lesquels je voisinais furent retirés du sac pour être séchés, et je me retrouvais seul. La température devenait insupportable, en tout cas bien plus que ce qu'un honnête fromage des pyrénées peut endurer.
Fin de la 1° partie
François Colas
.../...
à suivre ici: http://motslivres.blogspot.com/2009/05/les-tribulations-dun-fromage-vache_19.html
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