lundi 17 mai 2010

Eroscalade 2010 texte 9 - Pas un bruissement

Pas un bruissement. A peine un souffle d'air. Juste une volute de chaleur, soudaine. Elle avait posé ses doigts près de sa bouche. Le creux de sa nuque, le grain de peau ourlé de moiteur, s'était déroulé sous son regard. Son dos s'était langoureusement insinué près de lui. Avec une grâce aérienne, elle s'était cambrée en expirant. Elle avait immensément ouvert ses cuisses devant son visage. Son entrejambe allait le gober. Puis, dans le murmure d'un gémissement, d'un souple coup de rein, elle avait disparu du toit dans lequel, à la recherche de l'inspiration, il pendouillait au fond de son baudrier encore plus stupidement que tout à l'heure. Ils étaient revenus, lui et ses bras ridiculement inertes, à leurs baquets. Un. Puis deux. Puis… Il n'avait jamais eu de conti. Dans un élan assez pathétique, il avait bien tenté d'attraper la dégaine. En vain. La pesanteur l'avait rappelé à elle quelques mètres plus bas. "Tu veux des cours particuliers..?" lui avait glissait dans un rire cristallin, l'araignée qui filait à vive allure au pied de la voie.
Dans la vie, Maitasuna s'occupait des corps. C'est du moins ce qu'elle lui avait dit. "Tendance travaux accro", avait-elle ajouté, les lèvres pincées en un accent aigu à donner le vertige. "Sur adultes consentants, bien entendu". Il avait vu la fourche d'un diablotin furtivement s'estamper sur la commissure de ses yeux.
Elle lui avait proposé de sortir ensemble un soir. Il avait été convenu qu'il passerait la chercher à la sortie de son travail. L'adresse était dans Red Light District. Il était depuis peu à Amsterdam et n'avait pas encore visité la vieille ville. Aussi avait-il décidé d'y aller pied, en flânant.
Maitasuna, elle, marchait comme elle grimpait. Charnelle. Féline. Elle attaquait du talon, avec une moelleuse fermeté. Son pied s'enroulait progressivement sur le sol comme pour l'étouffer. L'étreinte se relâchait. La voute plantaire se courbait. S'arcboutait. Son corps s'élevait, comme suspendu dans les airs. Le flux et le reflux de ses enjambées remontait alternativement le long de ses cuisses pour venir mourir dans sa croupe. Chaque pas était une vague qui venait échouer sur l'entrechoc de ses fesses. Des fesses qui vous auraient fait aimer le mal de mer. Une fille qu'on n'aurait égoïstement pas prise en stop, rien que pour le plaisir de la voir déambuler.
Dans l'entrée de son appartement, il s'était rajusté devant le miroir en pied. Il avait glissé pensivement dans sa besace les 5m de cordelette qu'elle lui avait demandé, en précisant qu'elle pourrait en avoir besoin ce soir. Il l'avait revue mentalement grimper. Il la voyait nue. Il se voyait seuls. Lui demander de l'attacher pour lui faire l'amour… Il avait rouvert les yeux, immobile devant la glace. Cette fille l'érotisait trop pour qu'il puisse décemment sortir avec un pantalon cigarette en flanelle. Il avait filé changer de tenue.
Il avait marché très lentement dans les rues pavées, plus pour subjuguer l'excitation qui le sillonnait que par réel intérêt touristique. Il avait pensé aux courbes qui ornent l'épaule de Maitasuna. Celle qui glisse vers un biceps qui surgit lorsque ses musclent se bandent. Celle qui s'exalte jusqu'à la racine de ses cheveux relevés en chignon sauvage. Celle qui capitule sur la pointe de ses petits seins. Lentement. Il fallait marcher lentement. Il avait levé les yeux. Accrochée perpendiculairement à une ancienne bâtisse en brique rendue carmin par le crachin qui imbibait l'atmosphère, une plaque balançait au vent. "Cordonnerie", avait-il d'abord déchiffré, puis, se rapprochant, "Condomerie". La vitrine ne laissait pas place au doute: il s'agissait bien d'un magasin de capotes. Il avait pris à droite, Raadhuistraat. Maitasuna travaillait au n°107. La lumière s'était transformée. Partout, des néons roses enluminaient de grandes baies vitrées. Derrière, à chaque fois, une femme. En porte jarretelles, en nuisette, en bikini. Téléphonant, faisant des mots fléchés ou du vélo d'appartement. Le quartier rose… Il avait continué à remonter la rue. Ses mains étaient devenues moites. Maitasuna s'occupait des corps. Les vitrines s'égrenaient. Sur adultes consentants. Semblables les unes aux autres. Tendance travaux accro. L'amertume et l'inquiétude s'étaient substituées à l'excitation. Trouver Maitasuna avec un client? En vitrine, suspendue à un chandelier à demi-nue? Il s'était dit qu'il pourrait toujours aller voir de loin, et décider ensuite. Il était encore à 200m. Il avait fait quelques pas… et avait subitement pris la fuite en sens inverse.
Il ne vit jamais la plaque ornant l'immeuble moderne situé à la fin de Raadhuistraat, au numéro 107. L'icône d'un bonhomme tenant debout grâce à des ficelles telle une marionnette jouxtait le nom du lieu : Centre de Rééducation Fonctionnelle Post-traumatique. Maitasuna réapprenait aux accidentés à marcher, parfois en les suspendant dans une cage avec des bouts de cordelettes, pour réapprendre ce qu'est l'équilibre. Maitasuna redonnait l'amour de la vie. D'ailleurs, elle en portait le nom.

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